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Photo du rédacteurRachel Hussherr

Mieux comprendre la biodiversité et la COP 15

Dernière mise à jour : 4 oct.

À l’approche de la COP 15 à Montréal, coup de projecteur sur la biodiversité, essentielle à la bonne santé des écosystèmes et des sociétés humaines.



On ne va pas se mentir, la biodiversité va mal. Les effectifs de plus de 20 000 populations d’animaux sauvages ont diminué de plus de 60 % en 40 ans, des espèces disparaissent avant même que les scientifiques le découvrent et 90 % de notre alimentation repose sur une maigre sélection de 30 espèces de plantes (sur 80 000 potentiellement comestibles)… Mais les dés ne sont pas jetés : le professeur Andrew Gonzalez en a la conviction, il est encore temps d’agir pour limiter les dégâts.


Ce chercheur de l’Université McGill connaît la biodiversité sous toutes ses coutures. Il a fondé le Centre de la science de la biodiversité du Québec en 2009 et assistera à la très attendue 15e réunion de la Conférence des parties (COP 15) à la Convention-cadre des Nations unies sur la biodiversité, qui se tiendra à Montréal du 7 au 19 décembre. Reportée quatre fois à cause de la COVID-19, cette rencontre a un objectif majeur : établir un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à l’érosion de la biodiversité d’ici 2050. Décryptage.


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Québec Science : Quels sont les enjeux de la COP 15 ?


Andrew Gonzalez : L’objectif principal de la COP 15, c’est d’avoir une approche transversale, qui touche à tous les secteurs de la société. Historiquement, on avait tendance à se dire qu’il suffisait de créer des aires protégées où la nature pourrait s’épanouir. Mais ce n’est pas assez.


Il y a cinq grandes causes à la perte de la biodiversité : la destruction d’habitats, les changements climatiques, la pollution, l’exploitation des ressources naturelles et les espèces exotiques envahissantes. Si l’on agit sur les cinq, on sera capable de renverser la tendance.


QS Pourquoi la COP 15 est-elle particulièrement importante en comparaison des réunions précédentes ?


AG Les grandes rencontres de la Conférence des parties n’ont lieu que tous les 10 ans environ. On essaie alors d’y prendre un virage. Il y a eu les COP consacrées au climat, comme la COP 21 de Paris en 2015, et celles sur la biodiversité, comme la COP 15 cette année. Ce sont des réunions distinctes.

La COP 15 compte parmi ces réunions importantes, d’autant qu’en 2020 on s’est rendu compte qu’on avait raté toutes les cibles à l’échelle planétaire, établies à l’occasion de la COP de 2010 au Japon.


L’ensemble des parties de la Convention [ouverte pour la première fois en 1992] a alors décidé qu’il fallait quelque chose de transformateur. La COP 15 est la conférence où devrait être adopté le cadre mondial pour la biodiversité post-2020. Après plusieurs années de peaufinage, 21 cibles et 4 objectifs ont été renouvelés, qui vont servir à constituer un nouveau cadre pour guider l’action en faveur de la biodiversité. Il s’agit d’élaborer une vision pour 2050 : 30 ans d’efforts pour la nature.


QS Concrètement, quelles sont ces cibles ?


AG Un des objectifs phares de la COP 15 est d’augmenter la proportion des aires protégées sur les territoires des États signataires. On veut passer de 17 %, ce qui avait été conclu au dernier accord, à 30 % en 2030. C’est ambitieux, mais c’est le minimum nécessaire.

La COP demande aussi la mise en place d’un système de suivi de la biosphère pour que les différents pays puissent mesurer leurs progrès. Un des gros manques actuellement, c’est une évaluation annuelle des tendances de la biodiversité sur la planète.


QS Justement, on définit souvent la biodiversité comme la diversité des organismes vivants sur Terre. Mais il existe plusieurs échelles de biodiversité, un peu comme un oignon qu’on épluche. Pouvez-vous nous en dire plus ?


AG La diversité des espèces de plantes et d’animaux est une dimension importante de la biodiversité : on les voit immédiatement, on constate qu’il y en a beaucoup.

Puisque l’environnement change en permanence et que la diversité des espèces répond à ces changements, on mesure aussi la composition des communautés écologiques, qui sont des assemblages d’espèces animales et végétales. Et quand on réfléchit aux interactions entre ces assemblages d’espèces et l’environnement biophysique − l’atmosphère, la lithosphère, l’hydrosphère −, on parle de biodiversité des écosystèmes.


Une autre dimension souvent laissée de côté, c’est la biodiversité génétique. Le vivant est en constante évolution, au sens darwinien du mot. Toutes les espèces répondent de façon génétique aux défis environnementaux, par le processus de la sélection naturelle. Cette diversité génétique permet d’évaluer la capacité de l’ensemble des populations à répondre aux perturbations et aux aléas de l’environnement. Sans cette diversité génétique, les plantes, les animaux, les microbes ne pourraient pas persister dans le temps.


QS En quoi la biodiversité est-elle si importante dans un écosystème ?


AG Un écosystème fournit des services et procure des avantages aux sociétés humaines et la perte de la biodiversité nuit à cette offre de services. C’est un concept extrêmement important qu’on reconnaît de plus en plus.


Prenons l’exemple des forêts urbaines et de l’agrile du frêne, un insecte ravageur exotique qui cible les frênes. Une fois installées sous l’écorce, ses larves tuent plus de 90 % des arbres. Cela fait un trou dans la canopée des villes, ce qui engendre des conséquences sur les services que rend cette canopée, tels l’apport d’îlots de fraîcheur et l’interception des eaux de ruissellement.


Par le passé, on a eu tendance à planter toujours les mêmes arbres : des espèces qui poussent bien et vite, qui tolèrent les sols moins fertiles des milieux urbains. Certes, la tâche des gestionnaires s’en trouve facilitée. Mais si l’on ne fait pas attention, on crée une canopée si peu diversifiée que, en perdant une espèce, on perd un grand pourcentage des arbres et des services écologiques qu’ils assurent.


QS Pour aider les décideurs, ces fameux « services écologiques » sont souvent convertis en valeur monnayable. Que pensez-vous de cette démarche que certains dénoncent ?


AG La valeur monnayable est légitime, surtout quand le bien en question existe déjà dans un marché. Ainsi, il existe une valeur liée au carbone stocké dans les arbres ou dans une tourbière, car il y a un marché du carbone. Mais il faut tenir compte de l’ensemble des valeurs : les valeurs bioculturelles, esthétiques et bioéthiques, c’est-à-dire le droit d’exister. Des approches sont élaborées pour donner des droits légaux à des écosystèmes.

Souvent le système économique voit la nature et l’environnement à travers ce filtre. Par exemple, une ville a une ligne budgétaire qui concerne le coût de maintien des arbres. Mais l’autre façon de voir l’économie municipale est de considérer les avantages offerts par la canopée. Pour l’instant, il manque une ligne dans l’inventaire [du budget] qui donnerait cette valeur. Nous essayons de promouvoir une vue plus équilibrée de l’ensemble des valeurs et des coûts liés à la nature.


QS Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder le Centre de la science de la biodiversité du Québec ?


AG Quand je suis arrivé à l’Université McGill, en 2003, il y avait eu une période d’embauche au Québec dans le domaine de la biodiversité. Je cherchais un moyen de réunir ces spécialistes. Je me suis rendu compte qu’il manquait un centre voué au sujet. Et je me suis dit qu’on devrait former un groupe pour faciliter la collaboration non seulement entre les chercheurs, mais aussi entre les étudiants. Il m’a fallu six ans pour réussir. Mais c’était une bonne chose, car depuis, plus de 120 professeurs et au-delà de 500 étudiants sont affiliés au Centre.


Aujourd’hui, l’objectif principal du Centre est de rendre disponibles les connaissances de nos chercheurs universitaires et d’aider la société québécoise à suivre les effets de ses activités sur la biodiversité, positifs comme négatifs.


Nous sommes aussi reconnus à l’étranger. En 2020, le Centre a gagné un concours pour devenir l’organisation hôte du réseau international GEO-BON [Group on Earth Observations – Biodiversity Observation Network], qui regroupe plus de 2 000 scientifiques de 130 pays.


QS C’est d’ailleurs au nom du GEO-BON que vous allez participer à la COP 15 ?


AG En effet, j’y participe en tant que coprésident du GEO-BON, qui est « observateur » officiel, c’est-à-dire qu’il a le droit d’intervenir dans les discussions après les représentants des États. On va prodiguer des conseils et, si un État soutient notre constat, celui-ci pourrait être retenu dans les discussions.


QS On entend parfois que le changement le plus efficace est celui qui vient d’en bas, des communautés. Quels conseils pouvez-vous donner aux gens qui souhaitent amorcer un changement à leur échelle ?


AG Il n’y a rien de plus important qu’un vote. Je dirais de commencer par réclamer le changement auprès des élus, souvent au palier municipal, où l’on peut se faire entendre. Il y a eu une révolution dans les villes en termes de reconnaissance de la nature.


QS Quand on parle de biodiversité, on parle de crise, d’extinction en série. Est-ce qu’il y a encore de l’espoir ?


AG Je suis plutôt optimiste dans la vie; je dirais donc qu’il y a de l’espoir. Je suis réaliste par rapport aux politiciens et je pense qu’on a des raisons d’être un peu sceptique. Mais tout ne dépend pas uniquement d’eux.


Le secteur privé est en changement : il a réalisé l’importance de la nature. Je suis époustouflé par la réaction du monde des affaires, qui, pour la première fois, s’intéresse à la science pour minimiser les répercussions de ses activités. Ces acteurs se rendent enfin compte que c’est mauvais pour l’économie si la biosphère ne fonctionne pas.


 

Entrevue publiée dans le magazine Québec Science de novembre 2022

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