Protéger les plantes cultivées par nos ancêtres pour mieux nourrir l’humanité de demain : voilà l’objectif des banques de semences à travers le monde. À quel point ces collections sont-elles complètes ?
L’agriculture s’uniformise dangereusement. Les plantes cultivées dans le monde auraient perdu plus de 75 % de leur diversité, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Devant cette érosion, les efforts se multiplient depuis les années 1960 afin de conserver dans des banques de semences les variétés ancestrales, c’est-à-dire les plantes sélectionnées par des centaines d’années d’agriculture artisanale et locale. Mais jusqu’à récemment, il était difficile de dire si ces efforts avaient porté leurs fruits.
Une étude signée par plus de 50 chercheurs lève le voile sur la question. Une vaste modélisation a permis au groupe d’estimer qu’en moyenne 63 % de la diversité ancestrale des 25 groupes de plantes cultivées qui ont été sélectionnés pour l’étude était représentée dans les banques de semences à travers le monde.
Ces résultats, publiés dans le journal Nature Plants au mois de mai, sont très prometteurs, commente Julie Sardos, chercheuse en diversité génétique à l’organisme de recherche Biodiversity International et au Centre international d’agriculture tropicale. « Cela nous encourage à persévérer dans notre travail », soutient-elle.
Un travail d’inventaire colossal a d’abord été nécessaire pour récolter les données destinées à « nourrir » ces simulations par ordinateur. Pendant trois ans, de nombreux voyages, dans plusieurs banques de semences sur la planète, ont été effectués. Au total, les enregistrements de quelque 100 000 semences répertoriées un peu partout ont été passés en revue pour affiner le modèle. Le but des chercheurs : esquisser la biodiversité des plantes étudiées, leur répartition géographique et, finalement, leur représentation dans les diverses bibliothèques autour du globe.
Cet inventaire des variétés ancestrales a permis de mettre en évidence certaines lacunes. Alors que les variétés de lentilles et de bananes sont parmi les mieux représentées dans les banques, il existe des trous pour d’autres espèces. C’est le cas pour le millet perlé, les pois et les patates, dont la diversité des variétés ancestrales ne serait sauvegardée dans les collections internationales qu’à hauteur de 30 à 50 %. « Les trous sont surtout d’origine géographique », précise Julie Sardos, qui a participé à plusieurs voyages de collecte, notamment dans les îles de l’océan Pacifique. Certaines zones sont sous-représentées parce qu’elles sont difficiles d’accès ou soumises à un contexte politique tendu.
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Les cultures d’antan possèdent un bagage génétique précieux dans lequel il est possible de puiser pour créer de nouvelles variétés à cultiver, d’où l’importance de les protéger. Elles s’enracinent également dans l’histoire des communautés qui les ont développées. Les inventorier, c’est « faire une enquête pour mieux comprendre d’où l’on vient », indique Julie Sardos. Les noms de certaines variétés sont imprégnés d’une histoire forte qui reflète l’identité culturelle d’un peuple. Ainsi, « le bananier Navente est intimement lié au mythe d’origine de la tribu de Bougainville [une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée] : la plante aurait enfanté les jumeaux fondateurs de cette communauté », raconte la chercheuse.
C’est vrai chez nous aussi. « Les variétés ancestrales sont l’histoire d’une famille, d’un clan, des Premières Nations », assure Lyne Bellemare, productrice de semences ancestrales au Québec. Elle met d’ailleurs un point d’honneur à reconstituer les « mémoires » des variétés locales, qu’elle rend ensuite disponibles sur le site Internet de son entreprise, Terre Promise. Sa tomate Mémé de Beauce, par exemple, a été retrouvée sous les planches d’un grenier lors d’une rénovation en 1995. Aucun potager n’avait été cultivé à cette adresse depuis plus de 60 ans. Sur les quelque 200 graines récupérées, 3 ont germé, accordant un second souffle à cette variété.
Si elle reconnaît l’importance des banques de semences, la productrice souligne que les plantes ont aussi besoin d’être cultivées pour continuer de s’adapter à l’environnement local, aux insectes, aux changements climatiques. « Si l’on réveillait quelqu’un en hibernation depuis 50 ans, il ne saurait pas comment utiliser un cellulaire », illustre-t-elle.
Les semenciers incarnent d’ailleurs un lien essentiel entre les collections à grande échelle et les jardiniers et agriculteurs, d’après Lyne Bellemare. Même si les banques rendent leurs semences accessibles gratuitement, « il faut prouver qu’on veut faire de la recherche, qu’on va cultiver la plante pour l’améliorer ou se servir de mécanismes de sélection pour les obtenir », dit celle qui a ramené du passé la Veine Rose, une variété de pomme de terre récupérée à la banque de semences de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.
Du côté des scientifiques, le travail continue aussi. « Notre recherche, c’était surtout de la science pour l’action », mentionne Colin Khoury, l’un des auteurs principaux de l’étude. Le directeur de la science et de la conservation au jardin botanique de San Diego en sait quelque chose : il a répondu à la demande d’entrevue de Québec Science du Pérou, où il recherchait des variétés anciennes de la pomme de terre dans le berceau du tubercule, sur les hauts plateaux andins.
Article publié dans le magazine Québec Science de septembre 2022, ici