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Photo du rédacteurRachel Hussherr

Biomasse forestière, source d'énergie verte

Un peu partout dans la province, des chercheurs s’intéressent à la biomasse forestière comme source potentielle d’énergie verte.



«Finis ton assiette ! » Si on entend cette rengaine autour des tables pendant les repas, elle est moins fréquente dans d’autres contextes, comme celui de l’industrie forestière.


Pourtant, la gourmande engendre 6,8 millions de tonnes de résidus secs par année, selon un rapport commandé par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec en 2021. Ces branches, feuillages et copeaux sont destinés à être enfouis ou à se décomposer sur le lieu des coupes. Des « restes de table » que l’industrie forestière classique, en somme, n’est pas adaptée à digérer dans ses chaînes de transformation.


Pourtant, ces mal-aimés de l’industrie du bois sont l’objet d’un intérêt croissant, autant du côté du gouvernement québécois que de celui de scientifiques. Les uns comme les autres y voient l’occasion de contrecarrer notre dépendance aux produits pétroliers et d’atténuer la crise climatique. C’est que les résidus forestiers peuvent être utilisés comme énergie brute : ils sont brûlés pour produire de l’électricité et de la chaleur, ou les deux en simultané. Autre option : la biomasse forestière peut être transformée en carburant ou en gaz, grâce à une transformation sous haute température ou à la fermentation, notamment.


Destinés de toute façon à se décomposer et à émettre du dioxyde de carbone (CO2), ces résidus de bois pourraient donc être des sources de bioénergie qui contribueraient à réduire l’empreinte carbone du Québec, surtout dans le secteur des transports, lequel engendre plus de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la province.


Des biocarburants prometteurs


Plusieurs chercheurs et chercheuses ont bien compris l’intérêt de ce filon à ne pas négliger. Du lot, Patrice Mangin est professeur émérite à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et directeur général de l’organisme à but non lucratif BELT (Bioénergie La Tuque). Il travaille à implanter une bioraffinerie dans cette ville de la Mauricie avec l’aide d’investisseurs finlandais et de la communauté atikamekw. L’endroit serait entièrement alimenté par les résidus forestiers disponibles dans la région. Ils y seraient chauffés à plus de 1 000 degrés Celsius en présence d’oxygène afin d’être transformés en gaz, lui-même converti en carburant liquide au bout du compte.


Pour concrétiser ce projet — parti de zéro en 2010 —, Patrice Mangin estime qu’il faudra de 15 à 17 ans. Or le jeu en vaut la chandelle ! À plein régime, l’usine pourrait produire plus de 275 millions de litres de biocarburant par an, soit à peu près le volume de 90 piscines olympiques. Il s’agit là d’un coup de pouce non négligeable quand on sait que l’objectif québécois est d’augmenter la production de bioénergie de 50 % d’ici 2030.


Si le diesel était le biocarburant privilégié au départ, l’évolution récente des législations européennes sur les moteurs à essence a incité les instigateurs du projet à se tourner davantage vers le kérosène. Après tout, ce dernier sera encore indispensable dans l’aviation pour les 50 à 100 prochaines années, selon le professeur : « Autant faire en sorte qu’il soit le plus vert possible. »


Tandis que le projet de Patrice Mangin s’appuie sur une chaîne de transformation du bois en biocarburant grâce à une transformation à haute température, Kokou Adjallé, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), s’intéresse de son côté aux services que peut rendre la biologie dans ce domaine. Dans son laboratoire établi à Québec, il possède un véritable arsenal de cuves et de bioréacteurs qui lui permettent de tester différents procédés de mise en valeur des résidus. Les bactéries, les champignons et même les larves de mouches sont ses alliés !


L’un des projets sur lesquels planche le chercheur — également professeur associé à l’Université de Sherbrooke — consiste à optimiser la production de bioéthanol à partir de résidus forestiers. La magie opère en trois étapes. D’abord, il s’agit de séparer la lignine de la cellulose, deux des principaux composants du bois, car « la lignine empêche la valorisation de la cellulose dans la suite du procédé », explique M. Adjallé. Une fois la cellulose isolée, la molécule devient accessible pour l’étape de la digestion. Elle est transformée en sucres par une réaction appelée hydrolyse enzymatique, au cours de laquelle des enzymes « coupent » les molécules de cellulose. Enfin, un processus de fermentation permet d’obtenir le fameux bioéthanol.


Très répandue aux États-Unis, la production de bioéthanol dite de première génération — c’est-à-dire par la fermentation du maïs cultivé sur des terres qui pourraient autrement être réservées à la production alimentaire — a donné mauvaise presse aux biocarburants en général, de l’avis du professeur. Cependant, la situation au Québec est différente puisque le but est surtout de valoriser des déchets, donc de produire un carburant de seconde génération.


Tout cela doit néanmoins se faire sans mettre en péril la forêt. Sur les zones de coupe, « on vise à récupérer en moyenne de 40 à 60 % des résidus qui sont au sol. Il ne faut pas penser qu’on va venir racler le sol forestier », ajoute de son côté Patrice Mangin. De plus, certains milieux sont d’emblée exclus du ramassage parce qu’ils sont considérés comme trop sensibles. Les résidus n’y seront pas prélevés pour préserver la santé des sols et la biodiversité. « Le gouvernement a fixé à 1 % la proportion des sols fragiles exclus du ramassage; nous avons augmenté cette proportion à 10 % pour notre projet », précise le professeur.


Optimiser le cycle du carbone


Le rendement de conversion des résidus forestiers en bioénergies dépend beaucoup de l’efficacité des technologies. Ainsi, les chercheurs mettent les bouchées doubles pour améliorer les procédés. Pour le projet BELT à La Tuque, la transformation du bois en biocarburant n’est pas optimale sans un apport supplémentaire d’hydrogène. « Du carburant, c’est essentiellement du carbone et de l’hydrogène. Mais pour 5 à 6 % d’hydrogène contenu dans le bois, il y a 50 à 55 % de carbone », expose Patrice Mangin. L’ajout d’hydrogène s’avère donc nécessaire, et ce dernier est souvent produit indirectement grâce à des combustibles fossiles. Malgré tout, le professeur compte, à terme, utiliser un hydrogène vert et local grâce à une future usine de production installée à Bécancour, dont il est d’ailleurs le vice-président.


Du côté du bioéthanol de l’INRS, c’est la première étape de la chaîne de production qui pose problème. Le traitement visant à libérer la cellulose des résidus forestiers représente trop souvent une étape énergivore et peu écologique. C’est pourquoi Kokou Adjallé travaille à la remplacer par une action mécanique de compression qui briserait d’abord les liaisons du bois. Ensuite, des enzymes extraites de champignons se chargeraient de séparer la lignine de la cellulose.


Or, comment savoir si le choix d’une bioénergie est judicieux sur le plan environnemental ? Tout est question d’équilibre entre les coûts — aussi bien environnementaux qu’économiques — et les bénéfices, souligne Annie Levasseur, professeure à l’École de technologie supérieure (ÉTS), à Montréal.


Qu’elles débouchent sur de la chaleur, de l’électricité ou des carburants, les bio-énergies forestières viennent toujours avec une certaine « dette carbone ». Leur combustion ajoute du CO2 dans l’atmosphère, le temps que celui-ci soit capturé à nouveau par les arbres en croissance. Le processus s’échelonne sur quelques dizaines d’années. « De plus, le transport et les chaînes de transformation émettent également du CO2 », explique la chercheuse spécialisée dans le développement de modèles visant à étudier l’effet des activités humaines sur le climat.


Pour cette raison, la professeure Levasseur et ses collègues cherchent à établir « une vision holistique du carbone forestier » sur l’ensemble de son cycle de vie, grâce à des modèles numériques. Leur but : partir du tout début, quand le carbone est encore en forêt, et prendre en compte tous les aspects techniques et économiques des bioénergies qui en découlent, pour finalement les relier à leurs émissions de GES respectives. Si le travail de la chercheuse vise ultimement à guider les décisions politiques, l’équipe se concentre dans un premier temps sur l’amélioration de la méthodologie des modèles.


Boucler la boucle


Pour atténuer la dette carbone liée aux bioénergies forestières, des stratégies combinent l’utilisation du bois d’œuvre et sa transformation ultérieure en bioénergie. « L’idée est de maximiser l’utilisation des produits de la forêt sur une longue durée : on se sert d’abord du bois comme matériau [pour la construction, notamment], puis on le transforme en bioénergie lorsqu’il est en fin de vie », dit Annie Levasseur. De cette manière, la dette carbone est remboursée avant même l’émission du CO2 dans l’atmosphère, puisque de nouveaux arbres auront repoussé entre-temps et absorbé du carbone. Au contraire, le carbone issu des produits pétroliers mettra de 100 000 ans à plusieurs millions d’années pour retourner dans son réservoir d’origine, la lithosphère.


Selon Kokou Adjallé, aucun sous-produit résultant de la fabrication de bioénergie ne devrait être gaspillé; une autre manière d’alléger cette encombrante dette. Par exemple, la poudre de lignine obtenue pendant la production de bioéthanol dans son laboratoire a été réutilisée pour créer une mousse isolante destinée au secteur résidentiel, en collaboration avec une entreprise privée. Même les enzymes des champignons chargées de délignifier les résidus forestiers sont recyclées. Les restes de l’industrie forestière sont tombés dans la bonne assiette !


 

Article publié dans le magazine Québec Science de novembre 2022

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